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" Le génie écologique offre des techniques pour la nature et les hommes "

Sébastien Dellinger : « Le génie écologique permet la préservation et le développement de la biodiversité, par des actions adaptées sur les écosystèmes. »PHOTO : YAËL HADDAD

Sébastien Dellinger, ingénieur chargé de missions au sein de l'entreprise Dervenn, basée à Mouazé, en Ille-et-Vilaine, explique, à travers plusieurs exemples de projets, comment le génie écologique permet de concilier le développement des territoires et des activités humaines qui s'y rapportent avec la préservation des écosystèmes.

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Dans le contexte environnemental, économique, réglementaire et sociétal actuel, l'entreprise Dervenn, fondée en 2002 par Patrice Valantin, a choisi d'accompagner les acteurs publics et privés des territoires avec une vision qu'elle considère comme positive et dynamique de l'écologie. « Nous partons du principe que la vie constitue la base de la richesse de nos territoires et de notre économie et que seule une démarche permettant d'assurer la compatibilité des usages et des activités humaines avec le bon fonctionnement des écosystèmes qui nous entourent avait un sens pour développer une société viable demain. C'est ce qu'offrent les techniques de génie écologique », explique Sébastien Dellinger, ingénieur chargé de missions au sein de Dervenn. « Le génie écologique permet la préservation et le développement de la biodiversité, par des actions adaptées sur les écosystèmes, prenant en compte leurs fonctionnalités, la diversité des habitats et l'ensemble des interactions qui les sous-tendent. Elles peuvent s'appliquer à l'entretien, la restauration, la réhabilitation, la réaffectation d'écosystèmes et à leur prise en compte dans l'aménagement du territoire. La finalité est de trouver un équilibre pérenne entre le maintien des usages et/ou activités et la conservation de la biodiversité. » Au travers d'exemples de projets menés par la société Dervenn, Sébastien Dellinger présente la diversité des techniques et des démarches menées.

Restaurer les fonctionnalités écologiques et hydrauliques d'une rivière. Dans le cadre des travaux de la ligne à grande vitesse Bretagne Pays de la Loire entre Le Mans (72) et Rennes (35), les mesures compensatoires portent sur près de 920 ha et se traduisent par l'aménagement ou la restauration de différents milieux (zones humides, boisements, rivières, prairies...) et la mise en oeuvre de mesures de gestion confiées principalement à des agriculteurs, mais également à des propriétaires privés et des collectivités territoriales. La compensation au titre de la « loi sur l'eau » comprend des interventions sur des zones humides, des mares et des cours d'eau. Elle concerne notamment la restauration de l'Ouette, un affluent de la Mayenne, sur la commune de Bazougers (53). « Le cours de ce ruisseau a fait l'objet par le passé d'un reprofilage qui a conduit à la création de berges abruptes. Afin de lui redonner des fonctionnalités écologiques et hydrauliques, tout en préservant les activités humaines alentour, nous avons procédé à la re-création du lit majeur et à la reconstitution d'un lit mineur avec des berges aux pentes plus douces et un profil méandriforme. Ces travaux ont rendu nécessaire l'apport de matériaux minéraux, pour reconstituer le matelas alluvial avec un apport ponctuel de pierres et de blocs. Cela a permis la multiplication des habitats et la diversification des vitesses d'écoulement de l'eau, ce qui est propice à l'installation d'une faune et d'une flore diversifiées, à l'amélioration de la capacité auto-épuratrice de l'eau et à la réduction des risques d'inondation. Les travaux de terrassement ont été effectués à l'aide d'un bulldozer et d'une pelle mécanique. Cet hiver auront lieu les plantations de la ripisylve. Nous n'avons pas procédé à un ensemencement complémentaire considérant que la végétation spontanée reprendraitrapidement possession du site. »

Éviter la disparition d'une tourbière. Le complexe forestier Rennes-Liffré-Chevré (35) est un site Natura 2000 géré par l'Office national des forêts comportant une riche palette de milieux et notamment des zones humides, dont la tourbière bombée de la mare moussue à Mézières-sur-Couesnon (35). « Nous avions reçu pour mission de procéder à l'arrachage mécanique d'un millier de jeunes pieds de ligneux qui envahissaient le site et risquaient de provoquer la fermeture et la disparition de cette tourbière, un milieu rare dans le Massif armoricain dont il fallait préserver l'intégrité. La visite préa-lable de notre équipe dédiée aux travaux, accompagnée d'un écologue du pôle études et ingénierie, nous a permis de constater l'extrême sensibilité de ce milieu. En effet, il s'agit d'une tourbière qualifiée d'ombrotrophe, ou tourbière haute, dans laquelle le substrat se trouve déconnecté de la nappe phréatique et n'est alimenté que par les précipitations. De ce fait, avec notre expérience sur ce type de milieu, nous avons proposé au gestionnaire une méthode alternative aux préconisations initiales pour mieux tenir compte de la fragilité de l'écosystème », méthode qu'il détaille ainsi :

- marquage préalable des espaces les plus sensibles, les bombements à sphaignes ombrotrophes ;

- disposition de planches pour limiter le piétinement et interdiction de stockage de bois sur la tourbière ;

- coupe à la tronçonneuse des ligneux, sous le collet pour éviter la repousse, mais sans arrachage de la souche pour éviter la déstructuration de la tourbière, débardage des bois à la main ;

- limitation des voies d'extraction des arbres pour réduire les impacts sur la ceinture de la tourbière où sont présentes des espèces remarquables comme la fougère des marais et la laîche élevée ;

- mise en place d'essais de coupe à 50 cm pour évaluer les reprises des ligneux et la cicatrisation du bombement de sphaignes. Cette technique, qui facilite le travail, ne pourra être évaluée qu'à la reprise de la végétation au printemps prochain.

Préserver les espaces naturels sensibles du Morbihan. Depuis 2010, Dervenn travaille pour le conseil départemental dans le cadre d'un programme de gestion et d'entretien des espaces naturels sensibles, ainsi que des aménagements de sentiers de randonnée. « En cinq ans, nos équipes de terrain ont travaillé sur une trentaine de sites avec toujours, comme objectif, de proposer des interventions qui permettent de préserver ces milieux fragiles, la faune et la flore qui y sont inféodées, tout en autorisant leur découverte et un accès maîtrisé pour les visiteurs. Les techniques employées sont simples et cherchent le plus souvent à utiliser des matériaux naturels. Par exemple, nous avons mis en place près de 9 km de ganivelles en bois sur le littoral pour protéger les dunes du piétinement et favoriser le piégeage du sable et l'enracinement des végétaux permettant de fixer celui-ci. Pour améliorer la biodiversité des prairies, nous avons pratiqué des fauches annuelles avec exportation sur près de 40 ha. L'une de nos dernières missions en 2015 a consisté à gérer 1 ha de prairie par écopâturage afin de préserver un site de panicauts vivipares (Eryngium viviparum), l'une des plantes les plus menacées d'Europe et dont l'état de conservation dans le département est jugé préoccupant par le conservatoire national botanique de Brest (29). Cette technique de pâturage extensif avec deux vaches bretonnes de race pie noir s'avère le seul outil véritablement efficace pour l'entretien de pelouses amphibies pionnières et pour le développement du panicaut. Ces bovins n'apprécient pas cette plante et sont bien adaptés aux zones humides. »

Des techniques, une démarche au service des écosystèmes. « Œuvrer avec une approche conforme aux principes du génie écologique n'implique pas seulement l'utilisation de techniques ayant un impact environnemental faible sur les milieux mais également d'avoir une démarche raisonnée », reprend Sébastien Dellinger. La première étape consiste en une analyse fine des problématiques écologiques présentes et des contraintes socioéconomiques spécifiques du site. Il s'agit ensuite de hiérarchiser les enjeux identifiés précédemment, en tenant compte du contexte environnemental mais également des attentes du donneur d'ordre. La troisième étape permet de définir des objectifs en s'appuyant sur la méthode Smart (spécifiques, mesurables, atteignables, réalistes et temporisés, c'est-à-dire qu'une date leur est attribuée), un acronyme qui permet de se rappeler les caractéristiques que devrait avoir tout objectif. Viennent ensuite l'élaboration du programme opérationnel puis l'évaluation après réalisation des travaux, afin de s'assurer que les objectifs fixés ont bien été atteints ou le cas échéant, de prévoir des mesures de recadrage ou d'ajustement. « Il s'agit donc d'une démarche cyclique qui invite à s'interroger en continu sur l'impact de nos actions sur les écosystèmes, sans pour autant chercher à sanctuariser systématiquement la nature, mais en gardantà l'esprit que l'homme en fait partie. »

Yaël Haddad

Pour en savoir plus :- Renaud Jégat, Le génie écologique, pratiques innovantes pour les écosystèmes et les territoires, mars 2015, 184 pages, Educagri éditions, Dijon.- Norme X10-900, Génie écologique - Méthodologie de conduite de projet appliqué à la préservation et au développement des habitats naturels.- Zones humides et cours d'eau, octobre 2012, édité par l'Afnor.- Site de l'UPGE (Union des professionnels du génie écologique) : www.genie-ecologique.fr

État de restauration de l'Ouette à Bazougers (53), avant la plantation des ripisylves.

PHOTO : DERVENN

Tourbière de la mare moussue. Les planches permettent de limiter le piétinement pendant les travaux.

PHOTO : DERVENN

Ganivelles installées sur les dunes d'Arzon, une commune située sur le littoral morbihannais.

PHOTO : DERVENN

Les vaches bretonnes de race pie noir contribuent à la gestion des espaces favorables au développement du panicaut.

PHOTO : DERVENN

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